Je sais
dormir sans rêves, chercher leur disparition, écrire mon nom, dire où j’habite, rester polie, proposer un café, un thé, une bière aux artisans, aux connaissances, aux gens de passage, un apéro aux amis bien sûr,
je sais acheter chaque année à la gitane un panier puisqu’elle sait que je le ferai,
je sais faire un repas avec plaisir, ou sans envie particulière,
je sais être hantée par des expressions ou des phrases récurrentes, comme la cinquième saison ou l’idée du climat, ou fenêtre « prise par laquelle en nous s’égalise le grand trop du dehors* »,
je sais prendre des photos, souvent, partout, je sais ne rien en faire encore, même si ça appelle,
je sais lire des livres, des livres, des livres, savourer des essais qui m’accueillent comme s’ils m’avaient attendue depuis longtemps, puis peu à peu les oublier et les retrouver au détour,
je sais être attentive au dehors, à la qualité d’une lumière, aux douceurs assemblées et offertes si j’y prends garde, à l’entrelacement des trilles d’oiseau, au cri presque désespéré de la corneille ce matin qui laisse germer une étrange mélancolie inquiète, aux mouvements et place des chats, à leur esthétisme extrême, aux passage régulier de la grise qui vient témoigner de sa présence et de la mienne, qui vient saluer avec ou sans insistance,
je sais apprivoiser l’absence maintenant, plus ou moins bien mais disons plutôt plus que moins,
je sais la curiosité qui lève comme un vent joueur si et quand quelque chose m’intéresse, m’attire, m’aimante dans un travail possible, proposé, croisé,
je sais être follement inquiète, aux abois, jetée au loup, paniquée, retirée de moi-même dans les alarmes jusqu’à retrouver les peurs d’enfant, jusqu’à me gommer, disparaître, une apnée,
je sais être stupide, sans réponse ni repartie ni parole,
je sais être mutique,
je sais être courtoise, bien éduquée, le sens de ce qui se fait ou ne se fait pas,
je sais que l’institution est une mauvaise mère, pas assez bonne, inattentive, ce n’est pas son problème le bien-être,
je sais regarder les mésanges qui viennent picorer les graines sur le bord de la fenêtre, je sais différencier une hirondelle d’un martinet,
je sais que les pointes de vitesse de ces dernier atteignent 220 km/h, et qu’ils font l’amour en l’air,
je sais écouter,
je sais lire du dessous un texte, appréhender son espace, entendre le son de sa peau,
je sais parfois en parler, quelque fois l’écrire,
je sais cet amour tenace et fiable du texte, sans conditions,
je sais que le livre est un monde qui ne trahit pas,
je sais la venue des mots : grain qui d’un coup voile l’eau de son ivresse rebondissante si on est du fleuve ou la possible question d’une tempête, si on est de mer,
je sais que la houle obéit à un intervalle de secondes et que ce sont les plus longs qui intéressent les pêcheurs,
je sais que je ne cesse de m’y rassurer à la cloppe, ou de lui donner pouvoir de revendiquer ou d’assurer ou de pousser encore les mots ou la parole, ou le temps aussi bien puisqu’elle le scande, la cigarette, elle le découpe en petits instants entre chaque,
je sais qu’il y a une question sous l’autorité, celle de la connivence,
je sais de tous les savoirs apportés par les sens, par ce qui tout est fortement aimé, par tout ce qui a blessé, par tout l’éprouvé,
je sais ne pas vouloir savoir que je vais mourir.
*Rilke
Alors CE TEXTE vraiment il me fait monter les larmes aux yeux tellement c’est juste et beau. Merci.
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Merci.
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